Entretien avec Boris Blanco & Elsa Bonnet – 18 novembre 2020
Mercredi 18 novembre 2020, le violoniste Boris Blanco et la pianiste Elsa Bonnet ont joué devant des patients du service de gérontologie à l’Hôpital Sainte-Périne. Ils ont interprété les sonates pour violon et piano en do majeur de Mozart et Hahn avant de finir par la sonate pour violon et piano en si mineur de Respighi.
Suite à ce concert, les deux artistes ont pris le temps de répondre à nos questions. Ils nous confient leur émotion de jouer dans ce contexte si particulier et nous partagent leur amour de la musique.


Pourriez-vous nous raconter votre parcours en duo et comment votre route a croisé celle de Jeunes Talents ?
Elsa : Nous nous sommes rencontrés à l’Académie Jarousky lors de la promotion Vivaldi. Peu après, nous avons intégré l’Académie Musique à la Prée qui a été créée par Hortense Cartier Bresson et Pierre Fouchenneret. C’est une académie qui comporte 7 pianistes et 7 violonistes, et c’est vraiment là que le duo s’est formé avec le projet de concours.
Boris : Et depuis, nous travaillons régulièrement tous les deux, cet été nous avons à plusieurs reprises joué ensemble pour des concerts estivaux.
En tant que duo, ce concert à Sainte-Périne est votre premier concert avec Jeunes Talents ; mais qu’en est-il de concerts en solo ?
Boris : Pour ma part, c’était mon premier concert Jeunes Talents.
Elsa : J’ai déjà joué à l’occasion de deux concerts Jeunes Talents l’année dernière. Un concert à l’Auditorium du Petit Palais et un concert à Sainte-Périne également, mais cette fois-ci dans le département de soins palliatifs.
« De voir leurs yeux briller à la fin, cela n’a pas de prix »
Vous venez de jouer devant des patients en gérontologie ; ressentez-vous une différence entre jouer dans une salle de concert avec un public « classique » et jouer dans un hôpital ?
Boris : Etrangement, j’ai une appréhension avant le concert, de savoir si ce qu’on propose entrera bien dans le cadre de notre concert, par rapport à l’envie des gens présents. Mais en arrivant sur les lieux, je n’ai pas du tout l’impression de jouer pour des gens différents. J’ai juste l’impression de faire un concert « normal » – car, qu’est ce qui est normal ? – disons un concert traditionnel. Je ne pense pas adapter quoi que ce soit ou bien ressentir quelque chose de différent.
Il y a, bien sûr, des événements pendant le concert qui arrivent plus souvent que dans une salle. Mais je pense qu’il faut mettre un point d’honneur à ne pas faire de différence. Cela veut dire quoi sinon ? Jouer des œuvres moins compliquées ? Non, nous jouons simplement et je pense que c’est ce qui marche. Les gens sentent que nous venons pour respirer avec eux, ressentir des choses avec eux pendant une heure.
Elsa : Je suis vraiment d’accord. En soins palliatifs où j’ai joué en solo la dernière fois, je dirais que c’est encore différent du concert d’aujourd’hui. En face de nous, nous avons des gens qui ne sont pas capables de bouger et le contact est donc très ténu. Aujourd’hui, certaines personnes avaient la possibilité de s’exprimer de manière physique, ils pouvaient applaudir, parler, pour certains. Mais dans les deux cas, ce que j’aime beaucoup dans le fait de jouer à l’hôpital, c’est que cela reconnecte au rôle premier de la musique. Le but n’est pas de recueillir un applaudissement ou une reconnaissance, le but est de partager quelque chose que nous trouvons beau et de l’offrir aux gens. Après, ils en font ce qu’ils veulent, mais ils sont généralement assez contents ! Ce que je trouve particulièrement fort c’est qu’ils l’expriment de manière totalement sincère. C’est très touchant.
Personnellement, ces concerts me nourrissent beaucoup car nous voyons un plaisir très pur. En soins palliatifs c’était frappant car cela se voyait exclusivement dans les yeux des personnes présentes. Et de voir les yeux briller à la fin, cela n’a pas de prix. Quand on sort de scène, on se rappelle pourquoi on a choisi de faire de la musique. C’est un grand bonheur de pouvoir faire ça, c’est une vraie chance.
Surtout en cette période, votre concert a été un des rares concerts maintenus ; en jouant ici aujourd’hui, qu’est-ce que vous ressentez ?
Elsa : On l’apprécie d’autant plus que nous n’avons pas grand-chose en ce moment ! On se rend compte que ces concerts créent du lien social en rassemblant les gens, on voit à quel point c’est agréable pour tout le monde. On le savoure, c’est rare, donc on savoure.
Comment se passe d’ailleurs cette période de confinement pour vous ? Avez-vous réussi à maintenir des projets artistiques ?
Boris : Les projets de long terme sont maintenus, ceux à court terme annulés. C’est assez compliqué mais étrangement c’est une période que j’aime bien. Rester chez moi, faire du violon et travailler, c’est ce qui me tient. Je lis, je travaille, je répète. Ce qui est dangereux c’est de ne pas vouloir en sortir. Évidemment, les concerts reprendront et nous sortirons de cet état, mais il y a une forme de reconnexion avec ce que j’aime profondément : me lever, ouvrir ma boîte de violon et commencer à jouer. Répéter, faire de la musique. Et pour m’enlever cela, il faudra quelque chose de plus terrible que le confinement.
Qu’en est-il pour toi Elsa ? Apprécies-tu autant ce confinement que Boris ?
Elsa : Non pas vraiment (rires). Disons que le premier confinement a été beaucoup plus difficile que le deuxième. Aujourd’hui, j’ai moins l’impression d’être confinée car le Conservatoire de Paris est ouvert. J’ai presque le sentiment d’avoir un rythme normal, si ce n’est les annulations en cascade. Je me sens beaucoup moins impactée d’un point de vue psychologique qu’en mars.
Boris : Je me rends compte que nous sommes des êtres primaires et qu’il en faut peu pour être heureux. Je suis très heureux avec mon violon. En plus nous avons la chance d’avoir l’autorisation de se déplacer pour répéter. Bien évidemment, cela reste une période de contraintes mais une fois que nous l’avons intégrée, je pense qu’il faut y trouver du plaisir.


« Heureusement il y a Jeunes Talents pour nous faire tenir ! »
Quels sont vos projets individuels à l’avenir ?
Elsa : J’avais un concert à Marseille qui a été annulé, il devait avoir lieu en décembre. Il s’agissait de l’intégrale des concertos de Beethoven. Je devais jouer le premier, je suis très frustrée. J’ai également un double cursus avec le Conservatoire de Vienne mais qui est lui aussi fermé car confiné, donc je ne peux plus m’y rendre. Il y a un concert que je devais jouer à New York, aussi annulé. Toujours avec des dates de report inconnues.
Heureusement il y a Jeunes Talents pour nous faire tenir ! (Rires)
Boris : J’avais une tournée de musique de chambre qui a été annulée. En décembre j’ai quelques concerts qui sont maintenus. Après, tout est entre parenthèses jusqu’à fin 2021. J’ai pas mal de concerts en février et mars dont j’attends des nouvelles tout en continuant de m’y préparer. J’organise un festival en juillet, est-ce qu’on organise ou non ? Si oui c’est avec l’idée d’annuler derrière. Donc c’est difficile de se mettre à fond dans une organisation, dans ces conditions. Il faut se faire violence pour être absolument rigoureux et faire fi de l’épée de Damoclès. Cette période a interdit tous les vrais projets à long terme. Il n’y a plus de gros projets qui se créent depuis mars dernier. Tout ce qu’on fait actuellement, ce sont des survivances de ce qui s’est mis en place en 2019, début 2020. En 2020, il n’y a eu quasiment aucune création de projet artistique, c’est très rare.
C’est donc une nouvelle philosophie musicale : prendre les choses comme elles viennent !
Elsa : J’ai l’impression que c’est une des choses positives qui peut ressortir de cette pandémie, pour ma part : prendre les choses les unes après les autres. J’essaye d’apprendre le lâcher prise avec cette pandémie. Je progresse !
« La sincérité et le partage me touchent beaucoup dans ces concerts. »
Est-ce que vous auriez un mot de fin pour décrire ce concert solidaire ?
Elsa : Pour moi ce n’est pas un concert solidaire mais un concert tout court. Ce qui me plaît, c’est d’être avec des gens et ne pas être avec des patients. Avant le concert, nous avons l’idée que nous allons nous retrouver face à des patients et quand nous ressortons, nous avons simplement partagé avec des personnes ! Donc c’est un concert. Il y a « sincérité » aussi qui me vient à l’esprit. C’est la sincérité qui me touche beaucoup dans ces concerts.
Boris : Je dirais « partage » ou « passion ». Oui il y a une sincérité et un partage car nous partageons toujours dans un concert ; sinon, s’il n’y a pas de partage, c’est un concert un peu raté.
Elsa : Il y a un côté sans artifice, il y a juste la musique, nous et un public.
Boris : Il y a ce côté très direct. Ce qui est beau dans la musique c’est qu’elle est cette manifestation très intense de la vie, d’un désir de vivre, de ressentir des choses. Peut-être que nous parvenons à faire ressentir des émotions différentes à ces personnes beaucoup plus isolées, confinées. La musique arrive et fait ressentir au plus grand nombre d’émotions qu’ils n’ont pas la possibilité de ressentir aussi facilement dans leur quotidien. Un livre peut faire la même chose aussi, mais je trouve que la musique fait cela de manière très puissante et plus directement. Le grand drame, la grande joie, le grand amour … la musique les apporte et c’est une manière de vivre très fort et intensément pour un public qui n’est pas blasé. Il y a des gens qui sont très en attente de ressentir ça. Quand nous jouons Respighi, cette flamme présente dans la musique prend une autre dimension.
Elsa : Je trouve que cela redonne du sens à notre métier, ces concerts. Prendre la mesure de notre pouvoir. Ce n’est pas juste aller sur scène et repartir. Il y a quelque chose de plus qui se passe avec ce genre d’événement, on le sent.


Retrouvez la biographie d’Elsa Bonnet ici
Et celle de Boris Blanco ici