Entretien avec Kaëlig Boché • Alexandre Dumas et la musique

Le 23 octobre dernier est paru le CD « Alexandre Dumas et la musique » chez Alpha Classics.
Afin de célébrer la commémoration des 150 ans de la disparition d’Alexandre Dumas, Jeunes Talents, Groupama Paris Val de Loire et la Société des Amis d’Alexandre Dumas se sont réunis autour d’une volonté commune, celle d’enregistrer des œuvres vocales composées sur des textes de l’illustre auteur et interprétées par des artistes ayant déjà collaboré avec Jeunes Talents : Marie-Laure Garnier, Karine Deshayes, Kaëlig Boché, Raphaël Jouan et Alphonse Cemin.
Cet enregistrement, sorti le 23 octobre dernier chez Alpha Classics, permet de découvrir des bijoux musicaux inédits accompagnés du fruit d’autres collaborations entre écrivains et compositeurs de l’époque.

Afin de connaître les coulisses du projet, nous partirons à la rencontre de chaque artiste pour recueillir son témoignage.
Cet entretien vous permettra de connaître un peu plus le ténor Kaëlig Boché. Vous pouvez également consulter son site internet ici.

Si vous souhaitez écouter et vous procurer l’enregistrement, celui-ci est disponible sur le site d’Alpha Classics ici et sur la plupart des plateformes de distribution musicale et de streaming.


© Hélène Charier

Pourrais-tu nous raconter ton parcours avec Jeunes Talents ?

J’ai découvert Jeunes Talents pendant ma première année au CNSMD de Paris, suite à des avis d’auditions ; j’en ai passé une en deuxième année, avec le pianiste Thomas Taqué avec qui, pour notre premier récital, nous avions fait une intervention en hôpital. Je suis ensuite revenu avec deux autres pianistes, Jeanne Vallée et Célia Oneto Bensaid puis avec la soprano Marie-Laure Garnier, puis pour un récital avec Victoire Bunel et Sarah Ristorcelli.

J’ai donc eu beaucoup de chance car Jeunes Talents m’a donné l’occasion de faire pas mal de récitals. J’adore tout ce qui est mélodie – française ou étrangère – et les récitals Jeunes Talents sont idéaux pour cela car nous avons peu d’endroits à Paris pour pouvoir proposer ce genre de programme. C’est quand même difficile, quand on n’est pas encore connu, d’être programmé dans des lieux sympas sur du récital ou des mélodies. Nous avons ainsi pu, avec Jeanne, « roder » un programme pour le concours de mélodie de Toulouse que nous avons gagné. J’ai donc une expérience riche avec Jeunes Talents qui m’a suivi pendant tout mon CNSMD, et même après puisqu’il y a aujourd’hui ce projet « Alexandre Dumas et la musique » !

Tu as également participé au Festival Européen Jeunes Talents 2019 avec Marie-Laure Garnier, une de tes partenaires de chant sur ce CD ?

Exactement ! Je n’avais pas encore participé au Festival et Helen (Naulot-Molmerret) nous l’a proposé. On a chanté un programme autour de l’Amérique et les comédies musicales, ce que nous aimons aussi beaucoup. C’est ce qui est bien avec Jeunes Talents : nous pouvons proposer des programmes très variés !

Passons désormais à ce tout nouveau CD : comment est-ce que ce projet a commencé pour toi ?

Justement, pendant ce récital au Festival Européen Jeunes Talents 2019, avec Marie-Laure Garnier, nous avons discuté après le concert avec deux représentants d’Outhere Music qui étaient présents. Le projet n’était pas encore dans les cartons mais c’était une première prise de contact. Quand il s’est lancé véritablement, Helen nous a transmis un très large corpus de partitions. Pour ma part, j’ai fait un tri majoritairement en regardant les textes, pour voir ceux qui correspondraient le mieux, en premier lieu à une voix d’homme, ensuite dans les tessitures qui m’iraient, puis je me suis mis au piano pour entendre plus précisément les pièces.

On s’est rapidement retrouvés avec Alphonse qui avait fait un tri de son côté et nous a expliqué quelles pièces avaient un peu plus de valeur musicale que d’autres ; nous sommes très vite tombés d’accord. Un corpus plus petit en est sorti. Nous nous sommes dit que ce serait un petit peu « sec » de n’avoir sur l’album que des morceaux complètement inconnus, bien qu’il soit très intéressant d’avoir des pièces exhumées, mais de là à n’avoir que cela ! Par expérience, je sais que c’est plus difficile à écouter, à vendre… Donc, nous sommes allés chercher des thématiques dans les compositeurs contemporains de la période d’Alexandre Dumas et des musiques qui pouvaient s’en approcher : c’est ainsi que nous avons été amenés à faire des propositions supplémentaires d’œuvres dont les textes n’étaient pas forcément d’Alexandre Dumas mais qui s’en approchaient dans le style. Nous voulions aussi faire le lien avec quelques pièces plus connues mais nous ne nous sommes pas concentrés sur des pièces à gros succès. Hormis les pièces de Massenet cela reste un disque de découvertes.

Cet enregistrement nous réserve en effet plein de surprises ! Le répertoire peut d’ailleurs paraître surprenant ?

C’est certain ! J’ai même une mélodie qui a été écrite par un ténor qui n’est pas compositeur à l’origine. Mais nous nous sommes dit que c’était une très bonne idée car c’était pile la période et c’est l’occasion idéale de faire connaître cette mélodie.

Découvrir des mélodies qui étaient tombées en désuétude

Comment s’est organisé l’enregistrement, était-ce la première fois que tu participais à un tel processus ?

Ce n’est pas la première fois car, avec Thomas Tacquet, nous avons fait un disque autour d’un compositeur français complètement oublié aujourd’hui, Jean Cartan. J’avais déjà participé à un projet similaire « d’exhumation » et de redécouverte de musiques qui n’avaient jamais été enregistrées. Chez Jean Cartan nous avions même des inédits, c’est-à-dire des partitions que nous avons dû nous-mêmes retranscrire.

C’est donc la deuxième fois que cela m’arrive. Cela a vraiment piqué mon intérêt, car je me lance, avec une association que j’ai en Bretagne, dans l’exhumation d’œuvres de compositeurs bretons oubliés. J’aime beaucoup cet aspect de découvertes. Parfois on se rend compte qu’il y a des mélodies qui étaient extrêmement jouées pendant 5, 6 ou 7 ans d’une période particulière, puis elles disparaissent et tombent en désuétude, alors qu’il existe de grandes mélodies de Fauré, de Godard ou encore de Massenet qui sont tout le temps interprétées.

Cela pose la question : est-ce dû à notre goût musical ou est-ce que ce choix musical est déterminé par ce que l’on nous donne à travailler et entendre dans les premières années de conservatoire. Je me demande s’il n’y a pas un corpus de mélodies avec lesquelles tout le monde travaille quand on apprend le chant et que, par conséquent, beaucoup de choses passeraient à la trappe. Mais de toute manière le répertoire français est tellement vaste !

Peux-tu nous parler justement de ton répertoire en particulier dans l’album ? Est-ce qu’une pièce se détache pour toi ?

Il y a une mélodie de Godard, Te souviens-tu, une petite pièce que j‘avais découverte par un baryton, c’était l’occasion de pouvoir l’enregistrer, je pense que je n’en aurais jamais eu l’occasion autrement. Puis le défi dans ce programme a été le trio de l’opéra Piquillo composé par Hippolyte Monpou. Je dis défi car au début j’avais peur de ne pas avoir la vocalité du rôle de ténor ; je sens bien dans l’écriture que c’est un rôle de ténor plus léger, je me suis alors demandé jusqu’où je pourrais chanter cette partie-là, pour que cela rende le bon caractère sans travestir ma voix. Mais cela s’est très bien passé. La magnifique découverte que j’ai faite, grâce à Alphonse, c’est la pièce d’André Messager (Le chevalier d’Harmental, air de Raoul, « Ah ! Ah ! l’abbé, je l’ai mis en déroute »). On a sorti un air de cet opéra-comique complètement inconnu et j’ai adoré le travailler. J’aime beaucoup le chanter et je vais peut-être m’en servir pour des auditions car on a rarement des petits airs comme cela, des petites pépites que personne n’a dans son répertoire.

C’était super de sortir du confinement avec un projet

Comment s’est passée la préparation à l’enregistrement pour toi ?

Après le choix des pièces, Helen Naulot-Molmerret a organisé des master-classes avec Karine Deshayes et Alphonse Cemin. Nous avons eu la chance d’avoir tous ces coachings avant le confinement.
C’était super car nous avons pu chanter ensemble, c’était très intéressant d’avoir les conseils de Karine pour la préparation, pour que le disque soit le plus homogène possible, pour qu’il n’y ait pas un trop grand décalage avec elle. En effet, même si le but de cet album est aussi de mettre en avant les jeunes chanteurs, il vaut tout de même mieux ne pas renvoyer une image de trop jeune chanteur face à une chanteuse très expérimentée. C’était vraiment un concept sympa bien que délicat. Lorsque Karine nous donne de nouveaux conseils techniques, on peut penser que cela peut déstabiliser du fait qu’elle n’est pas notre professeure habituelle, mais cela n’a pas été le cas. Ses conseils étaient davantage des discussions techniques, la façon dont elle aborde cette technicité, elle nous a montré d’autres façons de faire. C’était vraiment très utile.

Je pense que la période de confinement nous a été bénéfique car nous avons pu mûrir un peu plus longuement le programme et, même si j’ai plein de choses à redire sur ce que j’ai fait, c’était super de sortir du confinement avec un projet et je me suis dit que nous avions bénéficié de ce temps supplémentaire. Avec le planning que j’avais avant la crise, j’aurais sans doute moins eu le temps de préparer cet enregistrement.

Comment s’est déroulé l’enregistrement qui, comme tu viens de le dire, a eu lieu au sortir du confinement ?

Comme tout le monde s’est arrêté en même temps, je ne l’ai pas trop mal vécu. Mais nous étions tous très contents de reprendre et de se retrouver. Il fallait être très prudents et distanciés, sur place nous ne nous sommes pas beaucoup vus tous les cinq ensemble car chacun enregistrait, de son côté, ses parties. Ensuite nous nous sommes retrouvés pour les pièces à 3 ou 4. Nous avons enregistré rapidement, sans nous éterniser pour ne pas prendre de risque. Comme nous nous étions bien préparés, cela s’est fait tout seul. Je pense que Karine considérait que nous avions fait le travail. Au moment de l’enregistrement elle n’était plus dans une disposition de coach mais bien d’artiste qui chantait avec nous. C’était très professionnalisant pour nous. Le risque aurait pu être que nous soyons là avec une posture d’élève, ce qui se serait entendu, je pense. Mais cela n’a pas été le cas et j’ai adoré enregistrer ce disque qui m’a même mis un « coup de boost » avec le confinement ; je n’avais pas vraiment chanté depuis deux mois mais le projet m’a remis en selle.

Tout était très simple, nous avons simplement fait de la musique

Vous êtes 5 artistes dans ce projet, comment s’est passée cette collaboration artistique entre vous tous ?

C’était très simple ! Je connaissais le travail d’Alphonse, je l’ai vu accompagner moult chanteurs, faire du coaching avec certains de mes camarades. J’étais très content que nous puissions collaborer, c’était une rencontre très enrichissante. Raphaël, je le connaissais également du conservatoire. Ce qui m’a marqué dans ces collaborations c’est que tout était très simple. Nous avons simplement fait de la musique. Je suis arrivé avec beaucoup de craintes sur moi-même et, comme l’ambiance était très détendue et qu’un vrai travail commun s’est déclenché, tout s’est très bien passé.

As-tu rencontré des difficultés vocales, artistiques à surmonter sur ce projet ?

J’ai eu en effet quelques questions techniques sur deux ou trois endroits très spécifiques que j’ai montrés à Karine. On en a discuté, je n’étais pas certain d’y arriver mais j’ai pu travailler de mon côté avec les coaches habituels et je pense que j’ai surmonté à peu près tous les aspects techniques qui me faisaient peur. Après, ce n’est jamais parfait. Mais je trouve que nous avons fait un très bon travail de préparation en partant de zéro. J’ai adoré retravailler avec Marie-Laure, et adoré notre duo de La Fuite, c’était un petit moment bonus.

En tant qu’interprète, être la première version c’est génial

Qu’est-ce que cet enregistrement t’a apporté en tant qu’interprète ?

Cet album a piqué mon intérêt, bien que ce ne soit pas mon objectif de départ de faire de grandes recherches musicologiques. C’est sympa de se dire qu’il y a tout à créer car certaines pièces n’avaient pas d’enregistrements passés. Se dire qu’il n’y a pas de références, cela fait du bien aussi ! À l’opéra, tous les opéras ont été chantés ou presque, on souffre toujours de la comparaison ; chacun y ajoute ce qu’il peut pour y mettre sa marque mais cela a ses limites. Faire de l’inédit c’est un plus ! Il faut trouver ce que l’on a envie d’en faire, c’est le challenge mais c’est aussi un cadeau car il n’y a que nous qui pouvons décider ce que l’on fera de cette pièce. En tant qu’interprète, être la première version c’est génial.

Le CD est paru il y a un mois le 23 octobre : qu’as-tu ressenti ce jour-là ?

Le 23 octobre, c’est aussi le jour de sortie du nouvel album de Roberto Alagna, du nouvel album de Melody Gardot, c’était une journée « sorties » ! Et j’ai été très content car j’ai eu des retours d’amis, de proches, alors que je ne pensais pas que l’album serait écouté ce jour-là ! En dehors de cela, la sortie d’un disque c’est toujours un beau moment. Après on a peur parce qu’on ne sait pas si les gens vont apprécier. Et puis, se retrouver dans les étalages de la FNAC fait plaisir.

Est-ce que tu as une anecdote que tu aimerais nous partager sur ce projet ?

J’ai eu très honte des photos du livret. Comme on sortait du confinement, j’ai pris 5 kilos et sur les photos … Mon Dieu ! Ça a été un peu dur ! (Rire) Je les ai reperdus depuis.  Ce n’est pas très musical mais c’est mon anecdote !

Dans ce genre de programme, on est vraiment acteur du projet

Le concert de lancement était prévu le 7 décembre à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet, est-ce que tu as hâte ?

J’ai hâte car le programme du disque m’a vraiment plu et, comme je le disais, ce disque m’a suivi pendant toute la période du confinement. L’Athénée est un théâtre que j’aime beaucoup, un joli théâtre parisien. Alors, pour chanter un programme qu’on adore dans un lieu magnifique, avec Karine Deshayes, avec des partenaires comme Marie-Laure et Alphonse et Raphaël, cette date fait partie de celles de ma saison que j’attends avec impatience, j’espère vraiment que le concert sera maintenu. Pour le préparer nous devrions nous voir quelques jours avant pour arranger le programme car nous n’allons pas faire forcément l’ordre du disque … j’espère ! J’avais peu de concerts en décembre mais celui-ci doit être le feu d’artifice de cette fin d’année.

Qu’en est-il de tes autres projets personnels artistiques ?

À plus court terme, je dois faire une petite tournée de concerts avec l’Orchestre de chambre de Nouvelle Aquitaine qui m’a laissé carte blanche sur un programme de comédies musicales, et je vais partager ce concert avec une amie soprano de ma promotion au CNSMDP, Makeda Monnet. Faire de la comédie musicale avec orchestre cela n’arrive pas souvent. Ce sont des concerts de fin d’année super sympas, on se déplace de municipalité en municipalité. Ensuite, je suis censé aller répéter à Montpellier pour le Voyage dans la Lune d’Offenbach pour la tournée du Centre français de promotion lyrique, c’est une de leurs grosses productions. Je dois jouer le rôle du Prince qui passe par là à l’Opéra de Nice et de Marseille. C’est un rôle comique, un petit personnage qui joue un rôle de fil conducteur. Je me réjouis de faire cela. J’ai une belle saison devant moi. Et puis je suis reparti au conservatoire pour obtenir mon Diplôme d’artiste interprète pour mon projet de compositeurs bretons.

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