Entretien avec Marie-Laure Garnier • Alexandre Dumas et la musique


Le 23 octobre dernier est paru le CD « Alexandre Dumas et la musique » chez Alpha Classics.
Afin de célébrer la commémoration des 150 ans de la disparition d’Alexandre Dumas, Jeunes Talents, Groupama Paris Val de Loire et la Société des Amis d’Alexandre Dumas se sont réunis autour d’une volonté commune, celle d’enregistrer des œuvres vocales composées sur des textes de l’illustre auteur et interprétées par des artistes ayant déjà collaboré avec Jeunes Talents : Marie-Laure Garnier, Karine Deshayes, Kaëlig Boché, Raphaël Jouan et Alphonse Cemin.
Cet enregistrement, sorti le 23 octobre dernier chez Alpha Classics, permet de découvrir des bijoux musicaux inédits accompagnés du fruit d’autres collaborations entre écrivains et compositeurs de l’époque.
Afin de connaitre les coulisses du projet, nous partirons à la rencontre de chaque artiste pour recueillir son témoignage.
Aujourd’hui, nous vous proposons de découvrir notre entretien avec la soprano Marie-Laure Garnier, Si vous souhaitez écouter et vous procurer l’enregistrement, celui-ci est disponible sur le site d’Alpha Classics ici et sur la plupart des plateformes de distribution musicale et de streaming.


Peux-tu nous raconter ton parcours avec Jeunes Talents ?
Mon premier concert avec Jeunes Talents remonte à fort longtemps maintenant ! Il me semble que c’était dans les années 2011-2012. J’ai eu la chance d’être invitée assez régulièrement par l’association, d’abord avec des pianistes accompagnateurs du Conservatoire, puis avec ma partenaire de musique de chambre, Célia Oneto Bensaid. Une régularité s’est ensuite instituée avec notre duo constitué, nous avons grandi ensemble depuis le CNSMDP et, encore aujourd’hui, nous faisons des concerts Jeunes Talents. L’année dernière, en 2019, nous avons même participé au Festival Européen Jeunes Talents.
Ces concerts Jeunes Talents font toujours plaisir et cela fait du bien de se sentir soutenue par l’association, Helen (ndlr : responsable de programmation) est très à l’écoute, elle nous propose plein de choses et c’est très appréciable.
T’es-tu déjà produite avec Jeunes Talents lors de concerts que nous appelons « solidaires », dans les hôpitaux ou maisons de retraite ?
Oui tout à fait ! Souvent, mais peut-être moins régulièrement que des concerts publics. Avec Célia, nous avons beaucoup joué à l’Hôpital Sainte-Périne, dans le XVIe arrondissement de Paris. Ce sont les deux dernières interventions que l’on a faites ensemble. Ce sont toujours des moments précieux de pouvoir être en contact avec des personnes qui sont isolées, qui ont des pathologies particulières, et de pouvoir apporter notre contribution au travers de notre art. C’est déjà un bonheur de pouvoir travailler et on le ressent d’autant plus en ces moments : on se rend compte à quel point chaque occasion de faire de la musique et de la faire, est un cadeau.
Nous avons la chance de pouvoir le faire mais aussi de vivre ce qui se passe, ce qui est créé sur l’instant. Je le perçois en particulier quand je chante car je suis devant et je vois ce qui se passe, je vois que ces personnes vivent une situation particulière. Bien souvent ce ne sont pas les mêmes personnes, parfois elles ne peuvent pas rester longtemps, le milieu hospitalier étant particulier. Mais on voit que les gens sont touchés. D’une façon ou d’une autre, ils finissent par réagir en levant la main, en clignant des yeux, en parlant. Chacun est touché d’une façon singulière, le personnel hospitalier également.
Souvent, les soignants viennent nous voir à la fin des concerts pour nous remercier pour ce beau moment. Ce rendez-vous-là touche à divers niveaux et c’est très précieux pour toutes les personnes qui peuvent y assister ; j’espère que cela pourra continuer longtemps.
Merci pour ce beau témoignage ! Peux-tu maintenant nous raconter comment ce projet « Alexandre Dumas et la musique » a commencé pour toi ?
C’est Helen Naulot-Molmerret qui m’a contactée. Elle m’a présenté le projet et je l’ai trouvé vraiment super. D’autant plus, je dois le reconnaitre, que je ne connaissais pas toutes les partitions qui avaient été composées sur les textes d’Alexandre Dumas. Et puis, j’étais vraiment enthousiaste à l’idée de travailler avec Kaëlig (Kaëlig Boché, ténor) et Karine (Karine Deshayes, mezzo-soprano). J’avais déjà travaillé avec Kaëlig, c’est un partenaire que j’apprécie beaucoup humainement et professionnellement, c’est un artiste merveilleux. Quant à Karine, que je connais depuis que j’ai commencé à m’intéresser au chant, j’ai suivi son parcours et j’ai toujours été très impressionnée par l’artiste qu’elle est. J’ai été très heureuse de la rencontrer en tant que personne. Pour l’avoir côtoyée lors de ce projet, je trouve que c’est une artiste et une personne formidable, on a beaucoup, beaucoup de chance d’avoir pu travailler avec elle. Elle nous a coachés sur les pièces que nous avons interprétées. Nous avons eu des partitions, nous avons eu le choix des pièces qui nous correspondaient le mieux et puis, il a fallu travailler. Nous avons travaillé avec Alphonse (Alphonse Cemin, pianiste) et Karine, ces moments étaient de véritables moments privilégiés.
C’était justement ma prochaine question : Que t’ont apporté les master-classes avec Karine Deshayes ? Était-ce la première fois que tu travaillais avec elle ?
Oui c’était vraiment la première fois que je travaillais avec Karine. Je l’avais déjà rencontrée au Concours Voix des Outre-Mer, elle est marraine du concours. Elle avait eu quelques mots à mon égard lors de la finale. C’était déjà un premier contact. Mais avec ce projet, j’ai eu la chance de pouvoir passer du temps avec elle et on a pu discuter de choses très précises, à la fois sur le répertoire mais aussi sur des points techniques.
Ce ne sont pas des cours réguliers, mais ces master-classes ont mis en lumière le fait que c’est une femme qui a la capacité de dire les choses de façon très précise, elle ne fait pas de « chichi », va à l’essentiel et je pense qu’on a besoin de cela. Nous ne sommes plus au conservatoire, nous sommes déjà dans un début de carrière, nous avons un peu de bagage. Et Karine est très efficace, elle est très généreuse et naturelle, cela fait du bien de rencontrer des artistes comme elle. Il y en a plein d’autres bien sûr, mais comme c’était la première fois que je travaillais avec elle, j’étais heureuse de cette expérience. Et puis, on se délecte de l’entendre chanter, c’est un vrai cadeau !
« « Alexandre Dumas et la musique » propose un florilège d’inédits »
Peux-tu nous parler du programme du CD et de ton répertoire en particulier ? C’est vrai que le programme que réserve ce CD est surprenant– certains compositeurs sont peu connus – Est-ce que tu as été surprise de ce répertoire ?
C’est vrai que c’est une esthétique que je n’avais pas forcément l’habitude de chanter. On a choisi, chacun d’entre nous, des compositeurs qui avaient composé des pièces allant bien avec nos voix. De mon côté, j’ai choisi une mélodie composée par Massenet en complément des romances sur des textes de Dumas. Elle est sur un poème de Victor Hugo, cela va donc avec la période. J’ai choisi également Le Jardin d’Henri Reber sur un texte de Dumas, je voulais me frotter à cette mélodie d’autant plus que ce poème est mis en musique par deux compositeurs différents. Kaëlig chante la version de Francis Thomé. Cette mélodie fait appel à de la légèreté. Je trouve que cela fait toujours du bien de trouver de la légèreté, autant dans la musique que la vocalité.
Je chante également Jeanne d’Arc au bûcher de Liszt (texte de Dumas) ! Cette pièce était un sacré morceau qui a failli être laissé de côté et, finalement, je me suis dit que ça valait le coup de la défendre. Mais ce n’était pas une pièce facile, d’une part elle est très longue, d’autre part il faut tenir cette tension d’un bout à l’autre du poème. Il s’agit de sept minutes de musique, ce n’est pas rien ! C’était mon petit challenge personnel et je suis ravie de l’avoir chanté.
Et puis il y a le trio d’Hippolyte Monpou extrait de son opéraPiquillo : Ah ! Pour votre assistance, seigneur, j’ai l’espérance (texte d’A. Dumas et de G. de Nerval). C’était une bonne expérience de monter ce trio qui n’est pas facile parce que la prosodie est particulière, on voit vraiment l’esthétique de cette époque dans cette pièce. Ma foi, c’était intéressant de la découvrir et la mettre en place pour avoir une trace de cet opéra qui n’est pas connu.
C’est également tout l’intérêt de ce disque : faire découvrir des pièces que l’on n’a jamais entendues. Et « Alexandre Dumas et la musique » propose un florilège d’inédits. Je pense que cela pourra donner des idées de recherche de programmes à d’autres artistes.
Tu disais plus tôt que tu avais choisi les pièces que tu as chantées, est-ce que tu pourrais nous en dire plus sur la façon dont tu as préparé cet enregistrement ?
Tout d’abord, en amont, on a reçu les partitions qui avaient été présélectionnées par Karine et Alphonse. De leur côté, ils avaient eu accès à un recueil de partitions avec plusieurs dizaines de romances trouvées par la Société des Amis d’Alexandre Dumas ! Ils ont donc fait une pré-sélection et dans cette sélection, chacun a pu dire ce qui l’intéressait. Chaque artiste connaît sa voix, ses points forts et faibles, donc chacun a choisi en fonction de lui-même. Puis, une fois la sélection faite, il a fallu encore rétrécir par rapport au timing, nous ne pouvions pas faire un disque de 2 heures. Chacun a gardé ce qui lui tenait le plus à cœur. On a tous eu envie d’avoir ce Trio de Piquillo pour avoir une œuvre qui nous réunissait tous (sauf le violoncelliste Raphaël Jouan). Cela s’est fait très simplement, on était vraiment comme en famille !
« Premier retour à la vie réelle d’artiste »
Comment s’est déroulé l’enregistrement ? D’autant plus qu’il faut savoir qu’il s’est fait à la sortie du confinement !
On était vraiment très heureux de se retrouver pour faire de la musique quand on a été confinés, ça il faut le noter ! Et on était aussi très heureux de pouvoir faire ce disque, surtout à la sortie de ce premier confinement, les dates n’ont été que légèrement modifiées.
Le disque s’est organisé très simplement, nous avons eu des plages horaires pour enregistrer nos mélodies séparément, puis avec Raphaël (R. Jouan, violoncelliste) pour pouvoir faire les mélodies avec violoncelle. Enfin nous avons eu un créneau commun pour travailler les mélodies d’ensemble. J’ai fait un duo avec Kaëlig et il y a eu ce trio tous ensemble.
Tout s’est très bien passé ! Même si nous savons qu’en interne il y a eu beaucoup de modifications, en tant qu’artiste, le projet a toujours été très fluide. Par ailleurs, un enregistrement, c’est toujours particulier, à la fois on est prêt et en même temps on doit faire face à l’instant présent. Les questions de prises de son correspondent à des moments privilégiés et des moments de stress, surtout quand on n’a pas chanté professionnellement pendant plusieurs semaines puisque nous sommes restés confinés pendant deux mois. Cet enregistrement symbolisait le premier retour à la vie réelle d’artiste. J’étais vraiment contente de reprendre et je pense que le résultat est assez agréable et appréciable.
As-tu une pièce préférée dans cet album et si oui laquelle ?
J’aime beaucoup la Fuite de Duparc que j’ai chantée avec Kaëlig. Mais j’aime toutes les pièces, il n’y en a pas une particulière.
As-tu rencontré des difficultés vocales, artistiques à surmonter sur ce projet ? Si oui, est-ce que le confinement a joué un rôle ?
Oui, mais pour le coup ce n’est pas lié au confinement mais plutôt au répertoire. Au sortir du confinement, on est toujours le même artiste car il n’était pas question d’arriver les mains dans les poches à cet enregistrement. Pour ma part j’avais bien avancé sur le programme pendant le confinement. Nous étions tous dans des rythmes effrénés, avec le confinement nous nous sommes retrouvés dans une période creuse – même si nous avons travaillé, fait des vocalises etc…- nous avons eu « le temps de prendre le temps ». Pour ce disque, je pense que ça a été à mon avantage, de prendre le temps, surtout qu’un disque c’est très fatigant.
Qu’est-ce que cet enregistrement t’a apporté en tant qu’interprète ?
D’une part la connaissance de ces œuvres sur les textes d’Alexandre Dumas, c’est toujours bien d’avoir plus de répertoire, que ce soit pour moi ou d’autres. Je pense que le projet est à la fois fondé sur le fait d’avoir découvert ces œuvres et le fait d’avoir travaillé ensemble. Il y a eu toute une démarche collective qui s’est faite et qui s’est soldée par cet enregistrement. C’est tout cela qui fait la richesse de ce projet : des jeunes artistes accompagnés par des artistes confirmés durant tout ce processus, cela donne une saveur particulière.
« Avoir une autre façon de faire notre travail, c’est aussi un cadeau. »
Le CD « Alexandre Dumas et la musique » est paru le 23 octobre dernier : qu’as-tu ressenti ce jour-là ?
Beaucoup de joie et en même temps j’ai toujours envie de savoir ce que les gens vont en penser. Heureusement le disque a l’air d’avoir été bien accueilli et ça fait plaisir ! C’est vrai qu’on s’est donné du mal et la période était assez difficile. Comme je l’ai dit tout à l’heure, chaque occasion de faire ou entendre de la musique est unique. J’ai de la chance de faire un métier que j’aime et, même si nous sommes privés de concerts pour l’instant, avoir une autre façon de faire notre travail, c’est aussi un cadeau.
Nous ne sommes pas en télétravail, nous sommes dans la vraie vie et faire un disque c’est une occasion de faire de la musique, de pouvoir faire vivre cette rigueur qu’on a au quotidien. C’est un one-shot, on a pris le temps d’aller au bout de ce projet, d’aller chercher la petite bête dans ce qu’on a envie d’offrir à ceux qui veulent bien l’écouter. Et au final, je suis contente de voir que ce CD fait du bien à ceux qui l’écoutent. Encore une fois, ce n’est pas quelque chose qu’on a déjà entendu, c’est d’autant plus gratifiant !
Quel est ton meilleur souvenir durant ce projet ?
Je pense qu’il y a deux moments qui resteront mes meilleurs souvenirs ; un moment où je travaillais Jeanne d’Arc, c’était un peu émouvant. Dans un moment de coaching avec Karine, il y avait quelque chose que je n’arrivais pas à faire et elle m’a juste dit un mot et ça a été un déclic. J’ai ressenti une émotion. C’est comme quand vous ouvrez un bouchon de bouteille de champagne, vous sentez la pression monter puis vous entendez le « pop » et toute la pression se relâche, tout le monde est content. Dans mon cas c’était pareil, j’étais très heureuse de réussir ce que je n’arrivais pas à faire jusque-là, avec une indication très simple. Cela illustre vraiment le propos que je disais, Karine est une artiste extraordinaire à la pédagogie très efficace. L’autre moment est celui où l’on a enregistré le trio de Piquillo. C’était un beau moment de complicité et cela s’est fait dans la bonne humeur. Je pense qu’on avait tous envie d’être là et ça se ressentait. Il y avait une très bonne énergie, c’était un très beau moment pour moi.
Un concert de lancement est prévu le 7 décembre à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet. Pour le moment nous ne savons pas s’il pourra être maintenu. En dehors de ce concert, quels sont tes prochains projets ?
J’ai des concerts qui sont transformés en enregistrement. J’ai un concert normalement prévu au Louvre le 9 décembre avec le Secession Orchestra sous la direction de Clément Mao-Takacs pour un programme italien. Ensuite, j’ai un autre concert, cette fois avec l’Ensemble Miroirs Étendus à l’Opéra de Rouen, qui va probablement se transformer en enregistrement, avec un programme Wagner. Et ensuite si tout va bien je devrais partir au Festival FILAO en Martinique avec Célia Oneto-Bensaid. Et, si tout continue d’aller bien, je devrais également partir en Guadeloupe pour un concert avec les Voix d’Outre-Mer fin décembre !
Retrouvez la biographie de Marie-Laure Garnier ici