Entretien avec Raphaël Jouan • Alexandre Dumas et la musique


Le 23 octobre dernier est paru le CD « Alexandre Dumas et la musique » chez Alpha Classics.
Afin de célébrer la commémoration des 150 ans de la disparition d’Alexandre Dumas, Jeunes Talents, Groupama Paris Val de Loire et la Société des Amis d’Alexandre Dumas se sont réunis autour d’une volonté commune, celle d’enregistrer des œuvres vocales composées sur des textes de l’illustre auteur et interprétées par des artistes ayant déjà collaboré avec Jeunes Talents : Marie-Laure Garnier, Karine Deshayes, Kaëlig Boché, Raphaël Jouan et Alphonse Cemin.
Cet enregistrement, sorti le 23 octobre dernier chez Alpha Classics, permet de découvrir des bijoux musicaux inédits accompagnés du fruit d’autres collaborations entre écrivains et compositeurs de l’époque.
Afin de connaitre les coulisses du projet, nous partirons à la rencontre de chaque artiste pour recueillir son témoignage.
Aujourd’hui, nous vous proposons de découvrir notre entretien avec le violoncelliste Raphaël Jouan. Si vous souhaitez écouter et vous procurer l’enregistrement, celui-ci est disponible sur le site d’Alpha Classics ici et sur la plupart des plateformes de distribution musicale et de streaming.


Pourrais-tu nous raconter brièvement ta rencontre et ton parcours avec Jeunes Talents ?
Après le Conservatoire de Metz, puis celui de Boulogne, je suis entré en 2012 au CNSMD de Paris. En 2014 j’y ai créé le Trio Hélios, qui existe toujours, avec Alexis Gournel au piano et Camille Fonteneau au violon. C’est avec ce trio que, pour la première fois, j’ai croisé la route de Jeunes Talents. Ensemble, nous avons auditionné pour les concerts de la saison car, comme nous étions à nos débuts, nous cherchions justement à nous produire à Paris.
Je pense qu’avec ce trio, nous avons joué quatre fois avec Jeunes Talents et nous nous sommes également produits pendant le Festival Européen Jeunes Talents ; en solo, j’ai joué deux fois en sonate violoncelle-piano, et encore un concert solidaire en violoncelle seul. Bref, nous avons assez vite été impliqués dans la programmation. Nous avons joué à l’Hôtel de Soubise, au Petit Palais, dans les hôpitaux, que de beaux lieux !
C’est toujours très agréable de jouer avec Jeunes Talents. L’association nous offre de magnifiques conditions à chaque concert. Les lieux sont superbes, les pianos sont toujours « au top », le public présent et demandeur ; on voit que c’est un public d’habitués d’ailleurs, car la programmation de Jeunes Talents existe depuis des années !
Et l’aventure Jeunes Talents continue puisque tu as participé à ce beau projet du CD « Alexandre Dumas et la musique » : comment a-t-il commencé pour toi ?
Helen Naulot-Molmerret m’a contacté en me présentant tout le projet. Un mois auparavant, je jouais pour un concert solidaire avec Jeunes Talents. Elle m’a demandé si j’étais intéressé, tout simplement. Les dates correspondaient avec mon emploi du temps et le projet me plaisait énormément, j’ai donc accepté, bien sûr ! De plus, j’avais très rarement eu l’occasion de collaborer avec des chanteur.se.s, cela me faisait donc très plaisir. Même si je ne connaissais pas encore personnellement les différents artistes du projet, je connaissais leur nom et leurs visages – pour ceux qui ont étudié au CNSMDP – et j’avais vraiment hâte de travailler avec eux.
Finalement ce projet s’est fait assez vite, nous nous sommes rapidement rencontrés avec les autres artistes. Nous avons eu la chance de pouvoir enregistrer tout l’album à la sortie du confinement, fin mai, même si celui-ci avait mis un peu le « bazar ». De mon côté, je ne joue que sur 4 pistes du CD, soit un bon quart de l’album, mais les choses se sont faites de manière très naturelle. Nous n’avons pas eu besoin de répéter outre mesure, nous nous accordions bien. C’était une super équipe avec laquelle il était très agréable de travailler.
Les échanges avec la voix sont vraiment intéressants pour nous, violoncellistes
Pourrais-tu nous parler un peu du répertoire étonnant de cet album et du tien particulièrement ?
Je suis peut-être moins concerné par les œuvres réellement méconnues qui sont davantage destinées aux chanteur.ses. Je ne connaissais que très peu ces pièces alors qu’il y a pourtant beaucoup d’œuvres qui sont écrites pour piano, chanteurs et violoncelle, ce qui donne un timbre différent et donne des échanges avec la voix qui sont vraiment intéressants pour nous, violoncellistes. On dit d’ailleurs que le violoncelle est l’instrument qui se rapproche le plus de la voix humaine. Dans le répertoire proposé, je connaissais simplement l’Élégie de Massenet, première piste du disque. Les trois autres pistes que j’interprète dans le CD, je les ai découvertes pour la première fois avec ce projet. Si je devais en choisir une, ce serait La Berceuse de Godard que j’ai interprétée avec Karine et Alphonse ; c’est vraiment une œuvre que j’ai découverte avec le disque et qui m’a énormément plu et touché.
Tu anticipes peut-être ma prochaine question : as-tu une pièce favorite dans cet album ?
C’est difficile de choisir ! Je trouve en effet que La Berceuse est magnifique mais tout autant l’Elégie de Massenet. Après, il faut dire que j’ai une place plus particulière dans cette dernière, comparativement aux pièces de Liszt et de Berlioz où je suis plus en accompagnement au niveau des textures avec Alphonse. Peut-être que le Massenet et le Godard se détachent un peu plus pour moi car il y a des thèmes qui sont laissés au violoncelle ainsi que des contre-chants entiers qui sont donnés avec la voix, ce sont des dimensions différentes.
J’ai même mon nom sur la pochette du disque
Comment s’est passée la collaboration avec les autres artistes du projet ? As-tu facilement trouvé ta place artistique ?
C’était terrible ! Entouré par tous ces chanteurs ! (Rires) Je plaisante, bien sûr. Tout le monde était adorable, cette collaboration s’est faite très naturellement. Je me suis senti particulièrement bien intégré car ma place dans ce projet est un peu à part du fait de ma participation sur quelques œuvres seulement. J’aurais très bien pu être accessoire comme cela se voit parfois sur d’autres disques ; l’instrumentiste participe à l’enregistrement, son nom apparaît dans le livret, mais sans plus, alors que, dans ce projet, j’étais très touché car tout le monde était attentif à bien m’intégrer dans l’ensemble. J’ai même mon nom sur la pochette du disque au même niveau que les autres, je ne m’attendais même pas à cela. J’étais très heureux de participer mais je pensais juste être là pour accompagner et aider.
La préparation du CD a eu lieu pendant le confinement : comment t’es-tu préparé à cet enregistrement ?
Le travail a été très concentré. Comme les choses ont tout de suite été très naturelles et que nous étions sur la même longueur d’onde artistiquement parlant, il n’y a pas vraiment eu débat. Le confinement n’a finalement pas joué en notre défaveur car nous avons pu alors répéter chacun de notre côté. J’avais les scores de tout le monde et je travaillais ma partie. J’essayais de voir ce que cela donnerait avec les chanteurs en chantant dans ma tête les échanges. J’écoutais beaucoup les œuvres, bien sûr, pour faire en sorte que lorsque l’on se retrouverait tous ensemble cela se fasse le plus naturellement possible.
As-tu rencontré des difficultés particulières à surmonter sur ce répertoire ?
C’est sûr, surtout dans Massenet et le Godard. J’ai vraiment essayé de chercher les lignes les plus longues possibles car j’étais face à une voix – et on nous parle souvent de la voix comme modèle de base dans l’aspect pédagogique du violoncelle -, avec cette idée d’avoir la même courbe et respiration que la voix et ne pas avoir des choses qui sonnent instrumentales, ce qui serait dans ce sens négatif. Je cherchais donc à me rapprocher le plus possible de la voix ; pour donner un exemple concret, je devais essayer de camoufler le plus possible mes changements d’archets car, dans la voix, il n’y a pas cet archet, et je devais faire en sorte que cela ne s’entende pas, ou le moins possible.
Cet enregistrement a eu l’effet d’un concert pour nous.
Pourrais-tu nous parler de l’enregistrement en lui-même, à la sortie du confinement ?
Cela faisait des mois que nous n’avions pas fait de musique avec d’autres personnes. On était très heureux de faire quelque chose ensemble. L’enregistrement s’est très bien passé. Évidemment, nous avons respecté les distances nécessaires, mais cela n’a pas affecté notre travail puisqu’en enregistrement nous sommes rarement collés les uns aux autres. Il y avait un état heureux de se retrouver et faire de la musique à la sortie du confinement. Même si les concerts n’avaient pas repris, cet enregistrement a eu l’effet d’un concert pour nous.
Qu’est-ce que tu retiendras de cet enregistrement en tant qu’interprète ?
Cela m’a poussé dans une recherche au niveau du violoncelle concernant le souffle, ce qui m’a fait du bien, comme le fait d’avoir cet objectif et d’arriver à le dépasser. De plus, dans le contexte sanitaire actuel, ce projet a malgré tout vu le jour et je m’en souviendrai toujours comme ayant survécu à cette période. En outre, l’équipe est géniale, je suis certain que je serai amené à travailler avec eux dans le futur, du moins je l’espère ! Et puis, il nous reste le concert de lancement. Actuellement on ne sait pas quand il aura lieu mais je suis certain que je m’en souviendrai longtemps. L’aventure n’est pas encore finie !
Qu’est-ce que tu as ressenti le 23 octobre : jour de parution de l’album « Alexandre Dumas et la musique » ?
Je pense que nous étions très fiers du chemin parcouru et du résultat, et nous avons eu des retours très positifs. Il y a quelques jours, l’album était encore cité dans l’émission « En piste » sur France Musique. Nous sommes très heureux de voir que notre travail est apprécié et de fournir aux gens un album pour qu’ils puissent entendre de la musique inédite. Même s’ils ne peuvent pas assister à des concerts, c’est une belle manière de leur apporter de la musique.
Tu parlais du concert de lancement qui a été reporté au 22 février 2021 à l’Athénée, tu pourrais nous en parler ?
J’ai vraiment hâte. L’Athénée est une salle dans laquelle je n’ai jamais joué mais j’y ai déjà assisté à un concert et je l’ai trouvée magnifique ! Il me tarde qu’on puisse s’y retrouver car, mine de rien, nous n’avons pas eu l’occasion d’être tous ensemble depuis l’enregistrement. Évidemment, il y a la question des emplois du temps de chacun, mais la situation n’a pas non plus aidé à célébrer la sortie du disque comme il se doit ! On pourra le faire en musique avec ce concert, ce sera un super moment.
J’imagine que ce doit être excitant de passer de l’enregistrement à la scène, en termes d’interprétation ?
Bien entendu, on ne joue jamais deux fois la même chose. En plus, il y a une sorte de réaction face au public qui induit des choses qu’on jouera différemment. On ne peut jamais savoir quoi ni comment à l’avance, il y a beaucoup de paramètres : la salle, l’humeur du soir etc… Ce sera différent mais c’est aussi cela le bonheur du concert.
En dehors de ce concert de lancement, quels sont tes prochains projets ?
Je m’estime plutôt chanceux car j’ai un bon nombre de reports. Je me projette beaucoup sur l’année prochaine, j’ai des concerts prévus, des concours avec mon trio. Nous – je dis « nous » car j’englobe mes collègues de musique de chambre – avons des objectifs clairs heureusement, même s’ils sont plus loin que prévu. Il y a des gros projets qui se décalent à long terme, on aurait dû faire un concerto de Beethoven à l’Arsenal de Metz, décalé à l’année prochaine, par exemple. On essaye de rester positif ! J’ai un CD en sonate, Sérénades, sur le label Initiales, donc violoncelle-piano, qui sortira le 4 décembre. Il aurait dû sortir en mars ou avril mais, avec la situation, il ne sort physiquement que maintenant. Les concerts de lancement sont donc reportés en janvier. Mais j’ai de la chance car ces projets continuent et me poussent !